Je ne peux pas faire en quelques minutes une analyse approfondie de l’article scientifique pour répondre à vos interrogations, mais voici des éléments de réponse (NB : je n’ai pas lu l’article de vulgarisation sur psypost.org).
Déjà, vous avez dans l’abstract un élément d’information qui permet de comprendre que vis-à-vis de la question de savoir si le sexe génétique prédispose les enfants à préférer certains jouets à d’autres (puisque c’est cela qui est en question ici), l’intérêt de cette étude est à peu près nul. En effet, elle porte sur les préférences de jouets entre les âges d’1 an et 8 ans, or au cours de la première année de vie, les enfants ont eu mille fois le temps d’être socialisés à jouer avec certains jouets plutôt que d’autres.
Par ailleurs, on peut remarquer que l’abstract donne une indication d’effet culturel : selon les auteurs de cette méta-analyse, plus les études qu’ils ont prises en compte étaient récentes, moins la préférence des enfants pour les jouets « sexués » était marquée. Les auteurs indiquent également dans l’abstract que le temps passé par les garçons à jouer à des jouets « masculins » augmente en moyenne lorsqu’ils grandissent, alors que le phénomène équivalent n’a pas été trouvé chez les filles. Ils l’interprètent ainsi : « Ceci indique que les effets des normes sociales persistent plus longtemps chez les garçons, ou bien qu’il existe une prédisposition biologique plus forte chez les garçons à préférer certains styles de jeux ». Les auteurs rapportent aussi avoir trouvé que les garçons jouaient moins avec les jouets « masculins » quand ils étaient observés chez eux que quand ils l’étaient en laboratoire (la tendance symétrique a été observée chez les filles mais moins marquée, non statistiquement significative). [paragraphe corrigé le 5/1]
Je signale aussi qu’un paragraphe de l’introduction donne une bonne indication de l’état des connaissances en la matière : « Les différences entre les sexes en termes de préférences d’objets des enfants proviennent peut-être de prédispositions biologiques qui sont ensuite influencées par des processus sociaux. Il est aussi possible qu’elles soient uniquement ou principalement attribuables à des facteurs sociaux. Dans les deux cas, l’impact de la socialisation est susceptible d’être modifié à mesure que la cognition se développe et que garçons et filles prennent conscience de leur appartenance à un groupe de sexe et des normes qui y sont associées. » Bien que ces auteurs indiquent clairement dans l’article (et dans l’abstract) qu’ils pensent qu’il y a une part de prédisposition biologique, ils reconnaissent donc qu’en l’état actuel des connaissances :
– il est possible que ces préférences sexuées soient entièrement socialement construites,
– ces préférences sont au minimum influencées par des processus sociaux.
Les auteurs en donnent plusieurs exemples au long de l’article, tels ce passage : « Par exemple, à l’époque où Benjamin (1932) a trouvé que les filles jouaient aussi longtemps que les garçons avec un avion-jouet, on parlait d’aviatrices dans les journaux ; Amy Johnson a volé d’Angleterre en Australie en 1930, et Amelia Earhart a survolé seule l’Atlantique en 1932. »
Pour info aussi, voici comment ils résument les études sur les singes qui selon eux, indiquent l’existence de prédispositions biologiques sexuées en termes de préférences d’objets : « les singes vervet femelles ont plus de contacts avec une poupée et une casserole que les mâles, alors que les mâles passent plus de temps que les femelles à manipuler une voiture et un ballon (Alexander & Hines, 2002), et les macaques rhésus mâles préfèrent les jouets à roues aux jouets en peluche sans roues (Hassett, Siebert, & Wallen, 2008). » Je vous laisse apprécier le degré de pertinence de ce résumé.
Par ailleurs :
– seules 16 études (portant en tout sur 1600 enfants) ont été incluses dans cette méta-analyse ; 15 d’entre elles (dont trois faites par des auteurs de la présente méta-analyse) ont été conduites dans des pays de culture occidentale (selon les termes de auteurs), à savoir aux USA, au Canada, en Europe ou en Israël, une l’ayant été à Hong Kong sur des enfant « d’ethnie chinoise » ; les auteurs écrivent d’ailleurs eux-mêmes (p. 22) : « une limitation de cette méta-analyse, et de ce champ de recherches de manière générale, est que la plupart des recherches ont été menées dans des pays occidentaux et que leurs résultats ne peuvent pas être extrapolés à ce qui se passe ailleurs » ;
– les statistiques sont faites à partie des construits « jouets de type masculin » vs « jouets de type féminin » de chacune de ces 16 études, sans le détail de ce qu’étaient concrètement ces jouets et la cohérence des classifications, ce qui est quand même très embêtant si on veut en faire une interprétation en termes de prédispositions biologiques. Ils disent seulement que l’une des études, Schau et al. (1980), « incluait à la fois une maison de poupée et un mixeur en tant que jouet féminin », que les études incluses « ont typiquement et de manière relativement systématique utilisé des poupées, du maquillage et du matériel de cuisine en tant que jouets féminins », que « les jouets habituellement choisis comme neutres comprennent les livres et les puzzles, mais il y a un certain chevauchement entre les catégories ; par exemple, Turner, Gervai et Hinde (1993) définissent comme jouet fémninin un puzzle », et que les études les plus anciennes ont plus volontiers que les récentes utilisé comme jouets « masculins » des objets associés à l’agression, par exemple « un fusil à fléchettes et une chemise de l’armée (Doering et al., 1989) et des figurines de combat (Servin et al., 1999) ». C’est l’une des limitations qu’ils soulignent eux-mêmes en fin d’article : « L’un des problèmes auxquels les chercheurs sont confrontés est le choix des jouets à inclure en tant que jouet sexué ou en tant que jouet neutre, ainsi que le nombre de jouets proposés aux enfants. Les jouets sexués les plus populaires sont les poupées et les véhicules, mais chacun d’entre eux se présente sous de nombreuses formes différentes ; par exemple, une poupée peut représenter un bébé, ou bien un garçon ou une fille, ou bien un homme ou une femme, et peut aussi être souple ou rigide, et être variable en termes de couleurs. »